Colloque annuel
La transition en Tunisie entre
revendications identitaires et lutte anti-corruption
Le 15 décembre 2018 à Paris, France
À propos
Le cas révolutionnaire tunisien est un modèle singulier qui sert à évaluer et à mesurer les retombées du mouvement révolutionnaire collectif nommé « printemps arabe ». Le cas tunisien ne tient pas son importance de ses caractéristiques intrinsèques, mais tire toute sa valeur de sa prédisposition à affecter l’ensemble du contour arabe et à définir sa trajectoire.
D’ailleurs, on admet, aujourd’hui, qu’il est le seul modèle à avoir échappé au cycle du chaos dans lequel sont tombées les autres expériences révolutionnaires, en Égypte, en Libye et en Syrie. Il est évident que la Tunisie, pour plusieurs raisons, était épargnée par la violence et les conflits armés qui ont suivi les vagues de protestation populaire. Mais le pays demeure déchiré entre une situation socio-économique critique et une scène politique minée par la discorde et les règlements de comptes.
L’économie tunisienne soufre aujourd’hui de deux maux ; le premier réside en l’héritage lourd de la dictature de Benali et de celle de Bourguiba. C’est une économie très fragile basée sur le tourisme comme secteur principal et sur l’exportation de matières premières ou de quelques produits agricoles comme l’huile ou les agrumes. A cette défaillance structurelle s’ajoute le fléau de la corruption qui ronge tous les secteurs de l’économie et toutes les articulations de l’administration. La monnaie locale perd quotidiennement de sa valeur face à l’Euro augmentant d’un côté les pertes économiques et renforçant, de l’autre côté, la main mise des instances monétaires internationales sur le pays. Bien que le régime martèle tous les jours le slogan de « la guerre contre la corruption », la réalité sur le terrain en est une autre. Au contraire, plusieurs observateurs pensent que le phénomène a pris de l’ampleur
après la révolution profitant de la faiblesse de l’Etat et surtout de la discorde politique et l’absence de mécanismes de contrôle. Malgré ceci, les avis sont presque unanimes concernant l’importance de la guerre contre la corruption qui était le fondement même de la dictature.
Dans ce contexte économique fragile, les mouvements de contestations ne manquent pas, mais risquent de reproduire une nouvelle explosion sociale. Les classes les plus touchées sont comme toujours les plus démunies et les chômeurs voient leurs chances de trouver un travail se volatiliser chaque jour. Une réalité qui a accéléré le rythme des vagues d’immigration clandestine, seul moyen selon plusieurs pour sortir de la misère et de la perdition. La frustration de la classe moyenne, gravement touchée par la crise économique et les réformes économiques maladroites, arrive à son apogée et multiplie les risques de débordement. La priorité semble être économique et sociale afin de pouvoir absorber les tensions sociales et désactiver toute possibilité d’un nouveau printemps.
L’élite politique tunisienne atteste aujourd’hui et plus que jamais qu’elle n’a pas encore tourné la page de la dictature. Elle n’a pas non plus guéri de ses démons idéologiques qui remontent au siècle dernier lorsque la dictature alimentait les appels aux heurts entre les courants de l’opposition pour justifier ses pratiques répressives.
Aujourd’hui et après la fuite de Benali, les partis politiques tunisiens ne semblent pas être concernés que par les rendez-vous électoraux et par leur part du pouvoir. Personne ou presque ne dispose d’un projet politique convainquant ou d’un projet rassembleur qui permettrait de débloquer un contexte très tendu. D’autres approches pensent que le contexte politique tunisien – y compris les tensions extrêmes entre les partis politiques – est le signe d’une vivacité politique productive. Ce climat est donc nécessaire pour toute nouvelle démocratie. Il est aussi un contexte indispensable pour garantir une transition démocratique réelle à condition qu’il ne glisse pas vers la violence et s’engage à respecter les règles du jeu démocratique.
Par contre, le débat ne s’articule plus autour des priorités économiques et sociales mais se trouve centré autour de questions moins insistantes comme la question identitaire. Les problèmes liés à l’héritage et à l’égalité homme/femme par exemple débordent sur les questions liées au chômage et l’effondrement du pouvoir d’achat. Plus encore, ces questions semblent venir désorienter le débat politique et social et le dévier de sa vraie destination. C’est l’élite de Benali et les courants intellectuels affiliés à la dictature qui cherchent par tous les moyens à empêcher le processus transitoire d’atteindre sa destination. La révolution tunisienne s’est déclenchée contre l’injustice et l’inégalité et pour mettre fin à la politique de marginalisation. Les forces contre-révolutionnaires et les quelques poches de l’Etat profond ne cherchent pas à travers les questions identitaires à établir une société plus juste et égalitaire mais cherchent avant tout à entretenir un climat de peur et d’incertitude. C’est ce climat qui permettrait à « l’élite de Benali » de valoriser les méritées de la dictature et de vanter le climat de « la sécurité et la paix » dont le despote en fuite était le garant. Soutenus par les puissances étrangères surtout dans le Golfe, les héritiers de la dictature cherchent par tous les moyens à en finir avec la dernière expérience révolutionnaire arabe.
Les INTERVENANTS
Fathi CHAMKHI
Universitaire tunisien et membre élu au Parlement tunisien. Expert et conférencier international dans le secteur de l’économie de développement. Fondateur et président de l’Association «Rad» en 1999. Membre fondateur de l’Observatoire International de l’Endettement basé à Bruxelles.
Ilyes FAKHFAKH
Ancien ministre des Finances et du Tourisme. Ingénieur de formation et spécialiste en management humain et des organisations. Tout au long de son parcours, Il s’est concentré sur les problématiques de mise à niveau, de restructuration financière et de redéploiement marketing.
Youssef SEDDIK
Philosophe, anthropologue et islamologue tunisien. Il obtient un doctorat à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris sur Le travail coranique (1995). Chargé de conférences à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, il enseigne ensuite la pensée islamique moderne à l’Université Paris III.
Salim BEN HAMIDANE
Avocat et ancien ministre des Domaines de l’État et des Affaires foncières de 2011 à 2013. Issu d’une famille yousséfite et militant syndical et politique, il a participé en 2001 à la fondation du Congrès pour la république. Diplômé de l’Université Paris Descartes et docteur en droit public. Élu à l’assemblée constituante dans la circonscription de Médenine.
Samir DILOU
Homme politique et avocat tunisien. Il est ministre des Droits de l’Homme et de la Justice transitionelle, porte-parole du gouvernement, dans les gouvernements Jebali et Larayedh. Il était élu à l’Assemblée des représentants du peuple lors des élections du 26 octobre 2014.
Lotfi HAJJI
Journaliste. Militant des droits de l’Homme et membre du comité de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme(LTDH). Membre fondateur de l’instance du 18 octobre pour les droits et les libertés. Auteur des ouvrages “Bourguiba et l’Islam” et “ L’Islam du Pouvoir et l’Islam de la Jamaa”.
Mohamed HNID
Maître de conférences à l’Institue National des Langues et Civilisations Orientales, Inalco, Sorbonne Paris cité. Linguiste de formation, il enseigne également la “langue des relations internationales” et “la langue de presse”. Secrétaire général du Centre des études arabes et de développement CASD.
Ezzedine ANAYA
Écrivain, traducteur et universitaire tunisien. Professeur à l’Université de Rome et de Naples, spécialiste en théologie. Docteur en sciences religieuses et auteur de nombreux ouvrages. Le dernier en date « la religion en occident » paru chez « addar al arabiyya lilouloum » Beyrouth 2017.
Mohamed DHIFALLAH
Historien et universitaire tunisien. Il soutient une thèse de doctorat en 1994 intitulée «Le mouvement étudiant tunisien (1927-1939)». Entre 1994 et 2003, il est secrétaire scientifique à la «Fondation Temimi pour la recherche scientifique et l’information».
Raoudha GRAFI
Juriste et ancienne présidente de l’Association des magistrats tunisiens (AMT). Juge au Centre d’Etudes Juridiques et Judiciaires et membre de la coalition civile pour la justice transitionnelle en Tunisie.Elle a contribué activement, à la tête de AMT, à l’élaboration de la constitution du 27 janvier 2014.
Omar SIFAOUI
Conseiller rapporteur général auprès des Services du Contentieux de l’Etat. Enseignant à la faculté de droit et des sciences politique de Tunis. Vice président du Forum de Droit ,de Justice et de Sécurité et membre du comité exécutif de l’Observatoire Tunisien de l’Indépendance de la Magistrate.